J’ai grandi à Douala, une ville portuaire du Cameroun qui est la capitale économique du pays. Ma femme et moi avons eu le bonheur d’avoir trois enfants, qui ont aujourd’hui 18, neuf et seulement trois ans. Comme beaucoup d’autres Africains, j’avais du mal à gagner suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins de ma famille et le travail pouvait être instable. Alors, il y a dix ans, j’ai décidé de faire ce que des millions d’autres avaient fait avant moi ou feraient après moi, c’est-à-dire partir à l’étranger afin de trouver suffisamment de travail pour soutenir financièrement ma famille.
J’ai décidé de faire route vers l’Algérie. De nombreux habitants de mon pays ont mis le cap sur le nord dans le but de rejoindre l’Europe. Mais, avec ma famille au Cameroun, ce n’était pas ce que je voulais faire. J’ai repéré l’itinéraire qui me semblait le plus sûr, et j’ai traversé près de 5 000 km, de Douala au Nigeria. Je suis ensuite passé par le Niger pour finalement arriver en Algérie.
Une fois sur place, j’ai pris la direction de la côte méditerranéenne et je me suis installé dans une ville appelée Oran. Elle était connue pour être une ville multiculturelle, où les étrangers sentaient que leur présence était tolérée. J’ai trouvé un endroit pour vivre, j’ai décroché un travail, puis j’ai travaillé dur et j’ai économisé de l’argent.
Il y a quatre ans, j’ai accepté un travail à Maghnia, dans la région de Tlemcen, à environ deux heures et demie de route. C’était un emploi dans le bâtiment. Même si j’étais étranger, j’ai bien réussi dans ce travail. J’étais respecté et j’ai obtenu le poste de coordinateur du chantier, chargé d’embaucher des ouvriers. J’étais payé régulièrement et j’avais un bon salaire, qui suffisait pour moi et ma famille au pays. Cependant, mon employeur ne m’a jamais fait signer de contrat de travail, malgré mes demandes répétées. Je n’ai donc pas pu obtenir de titre de séjour.
Il y a une part de racisme partout, et c’est aussi le cas en Algérie, mais je n’y faisais pas trop attention. Quand le Premier ministre a annoncé que tous les migrants vivant en Algérie devaient régulariser leurs situations, je me suis consciencieusement rendu dans un poste de police à Maghnia, où je travaillais, mais aussi à Oran, où je vivais pendant le week-end.
Toutefois, les comportements ont changé quand l’actuel Premier ministre, Ahmed Ouyahia, est arrivé au pouvoir en 2017. Les prix du pétrole avaient chuté, et les autorités ont commencé à tenir les immigrants pour responsables des difficultés économiques du pays. Cette situation a vraiment encouragé la montée des comportements racistes, et, même à Oran, les personnes noires comme moi ont commencé à se cacher chez elles et à ne plus sortir. Mais je n’imaginais pas à quel point la situation allait empirer.
C’était un vendredi soir de mai 2018. J’avais fini mon travail pour la semaine et j’attendais comme d’habitude le bus sur la place du marché de Maghnia. Il devait nous conduire à Oran, à 170 km de là.
Soudain, et sans raison particulière, des policiers algériens m’ont arrêté, ont attrapé mon téléphone – alors qu’ils ne m’avaient pas demandé mon passeport – et m’ont traîné dans une voiture de police où se trouvaient déjà des personnes originaires de Guinée, du Sénégal et du Mali. Ils nous ont emmenés dans un poste de police. Au bout de quelques heures dans ce poste de police local, j’ai été transféré dans un commissariat plus important, à Tlemcen.
J’avais du mal à savoir exactement ce qui se passait, mais, à ce stade, je savais que j’étais sur le point d’être expulsé. Je n’avais rien fait de mal, mais il était déjà arrivé la même chose à nombre de mes amis d’Afrique subsaharienne, donc j’avais en partie compris ce qui allait se passer. J’ai demandé aux policiers s’ils pouvaient envoyer quelqu’un chez moi à Oran pour récupérer mes affaires et mes économies, mais ils ont refusé.
Je suis resté au commissariat de Tlemcen pendant 24 heures, mais ensuite, on nous a forcés à monter dans un bus, moi et des dizaines d’autres migrants venant de différents pays.
Il y avait toutes sortes de gens : des Maliens qui avaient été arrêtés à l’aéroport alors qu’ils avaient des passeports valides, des femmes, des enfants – il y avait même un bébé d’une semaine. Une quarantaine de bus nous attendaient et nous avons été forcés à monter dans l’un d’eux. La personne assise derrière moi était demandeuse d’asile. Nous avons commencé à nous enfoncer dans le désert, en direction du sud.
Nous sommes restés dans ce bus pendant des heures, des journées entières. Nous avons parcouru des centaines et des centaines de kilomètres, de jour comme de nuit.
À la fin, au bout de plus de 1 000 km, nous sommes arrivés à Reggane, une commune du centre de l’Algérie où rien n’est accessible à moins de deux heures de voiture. Nous sommes sortis des bus, et on nous a laissés là.
Nous n’avions ni eau ni nourriture. C’était le mardi 15 mai. Il faisait 40 degrés. Il n’y avait pas d’ombre, même pour les femmes et les enfants.
Plus tard dans la soirée, nous avons été poussés dans des camions ouverts à l’arrière et nous avons repris la route vers le sud.
À la frontière avec le Mali, on nous a laissés dans un petit village appelé Bordj Badji Mokhtar. Ils nous ont dit de commencer à marcher vers la frontière, en nous menaçant avec des armes à feu pour que nous avancions.
“Nous pensions rejoindre l’Italie...”
En 2015, j’ai quitté le Cameroun pour l’Algérie avec ma femme. Nous nous sommes installés à Oran pour travailler et économiser de l’argent avant de reprendre la route vers le nord. Nous pensions rejoindre l’Italie, puis aller dans un autre pays européen qui nous offrirait de meilleures perspectives d’emploi. Nous devions traverser la mer Méditerranée en passant par la Libye au plus tard fin 2017, mais quand nous avons appris ce qui se passait là-bas à l’époque, nous avons décidé de rester en Algérie.
Ma femme était coiffeuse et je travaillais sur un chantier de construction. Pendant de nombreuses années, Oran était une ville multiculturelle et nous n’avons pas été victimes d’actes d’intolérance jusqu’à ce que les descentes de police commencent ici aussi.
Continue dans le chapitre deux...
“Pendant des années, je me suis rendu régulièrement en Algérie de chez moi au Niger”
Mon premier voyage date de 2012, puis j’y suis retourné en 2013, 2014 et 2016. J’ai eu plusieurs emplois différents. L’Algérie est une destination courante pour les travailleurs migrants du Niger, qui reviennent ensuite chez eux après avoir passé un peu de temps dans le pays pour gagner de l’argent. Je travaillais principalement comme vulcanisateur (la personne chargée de vulcaniser le caoutchouc pour améliorer sa résistance et sa résilience). J’ai toujours eu des problèmes pour me faire payer ; les employeurs paient souvent en retard ou nous versent moins d’argent que ce qui était prévu. Parfois, on a l’impression que les Algériens nous traitent comme des esclaves. Ils se bouchent le nez quand ils voient des personnes noires dans le bus et refusent de s’asseoir à côté d’elles.
Malgré cet environnement hostile, je n’avais jamais été arrêté avant 2017. Cette année-là, la situation s’est empirée pour les travailleurs subsahariens. J’ai été arrêté à Alger et expulsé en camion au Niger avec plusieurs centaines de Nigériens et de ressortissants d’autres pays. J’ai vu tellement de femmes et d’enfants venant de mon pays dans les camions !
“je ne m’attendais pas à ce que la vie soit si dure en Algérie également”
J’ai dû fuir la Guinée-Conakry en 2011 en raison de l’instabilité politique.
En septembre 2011, mon père a été tué car il a suivi un chef de file de l’opposition dont les sympathisants étaient persécutés. J’avais 18 ans lorsque j’ai été témoin des nombreuses violences déclenchées par la lutte pour le pouvoir en Guinée-Conakry. Quand ma mère est morte elle aussi, j’ai quitté mon pays pour rejoindre le Congo Brazzaville et y travailler.
Je suis ensuite parti au Mali avant d’aller en Algérie, où, selon ce que des amis m’avaient dit, il y avait des perspectives d’emploi. Nous avions entendu que la Libye était un enfer sur terre à l’époque, à cause de l’esclavage et du racisme, mais je ne m’attendais pas à ce que la vie soit si dure en Algérie également.
Je suis arrivé à Gao, au Mali, puis j’ai payé 250 000 francs CFA (la monnaie en cours en Afrique de l’Ouest et centrale, correspondant à 430 dollars américains environ) au passeur qui m’avait promis que j’arriverais à Oran. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Nous étions dans un pick-up avec 125 autres personnes. Lorsque nous sommes arrivés à El Khalil – à la frontière malienne avec l’Algérie – il nous a laissés avec les membres d’un groupe armé qui ont exigé que nous leur donnions notre argent. Ils avaient des armes lourdes et des machettes. Ils nous ont menacés et nous ont forcés à appeler nos familles pour qu’elles envoient l’argent, en nous disant que si elles ne le faisaient pas, ils ne nous laisseraient pas continuer notre voyage. C’est à ce moment que j’ai perdu toutes mes affaires et mes papiers.
Au bout de deux longues semaines, j’ai pu partir et continuer ma route vers Oran. Je n’ai pas pu profiter de l’Algérie bien longtemps. Trois mois plus tard, j’ai été arrêté et expulsé vers le Niger. Nous étions 195 personnes réparties dans 14 bus et nous avons dû marcher dans le désert.
J’étais très déçu. J’avais rêvé d’aller en Europe et d’y poursuivre mes études, de m’engager en politique et de sauver mon pays. J’ai peur de retourner en Guinée-Conakry, où j’aurai certainement des problèmes avec les services de sécurité. Je veux devenir célèbre et faire quelque chose pour mon continent, l’Afrique.
L’Algérie a adopté en 2008, la Loi n°08-11 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers. Cette loi fait de l’immigration irrégulière une infraction pénale passible de deux ans d’emprisonnement et met en place une procédure légale d’expulsion.
Le refus d’obéir à un arrêté d’expulsion est passible d’une peine de cinq ans d’emprisonnement. La Loi n° 09-01 du 25 février 2009 modifiant le Code pénal crée l’infraction de sortie illégale du territoire, dont peut se rendre coupable un citoyen algérien comme un ressortissant étranger. Cette infraction est passible de six mois d’emprisonnement. La Loi n° 80-10 de 1981 relative aux conditions d’emploi des travailleurs étrangers dispose que ces derniers ne peuvent obtenir de permis de travail que pour des postes qui ne peuvent pas être pourvus en faisant appel à des citoyens algériens. S’ils veulent pouvoir faire une demande de carte de séjour, les étrangers doivent en outre obtenir leur permis de travail avant d’arriver en Algérie.
L’application conjointe de ces différents textes se traduit par un nombre important de sans-papiers parmi les personnes originaires d’Afrique sub-saharienne présentes en Algérie pour chercher du travail. Elles ne peuvent pas régulariser leur situation sur place et sont par conséquent exposées à des risques de persécutions, d’emprisonnement et de harcèlement de la part des pouvoirs publics.
“Tout avait été volé, même nos papiers.”
Le 15 avril, en plein milieu de la nuit, la police a frappé violemment à notre porte, avant de la défoncer. Ils nous ont emmenés sans nous expliquer pourquoi. Ma femme était enceinte de sept mois et deux semaines. Dans le bus, la police nous a informés que nous allions être expulsés. Nous leur avons demandé de nous laisser quelques minutes pour rassembler nos affaires, afin d’avoir quelque chose à vendre pendant le voyage, qui allait certainement être difficile.
Quand nous sommes arrivés au centre de détention de Bir El Djir, 300 autres personnes s’y trouvaient déjà. J’ai remarqué que nos sacs n’étaient pas arrivés. Quand j’ai essayé d’interroger un policier à ce sujet, il m’a giflé et m’a emmené dans une salle fermée. Il m’a attaqué au pistolet paralysant, puis plusieurs autres policiers ont commencé à me donner des coups de matraque et de kalachnikov, tandis que d’autres m’aspergeaient d’eau. Grâce à l’intervention d’une organisation locale, nous avons été libérés, car la grossesse de ma femme était avancée.
Quand nous sommes rentrés chez nous à Oran, l’appartement était presque vide. Tout avait été volé, même nos papiers. Quarante autres migrants subsahariens vivaient dans notre immeuble, mais personne n’était là à notre retour. La situation s’est vite détériorée à Oran et, depuis, notre vie est devenue impossible. Nous avons été forcés de nous cacher chez nous et nous ne pouvions plus nous promener librement dans la rue.
Le 8 novembre, les autorités m’ont à nouveau arrêté pendant une perquisition. J’ai essayé de leur montrer la preuve de mon inscription au « programme d’aide au retour volontaire » de l’OIM, mais ils ont refusé de consulter les documents. J’ai été séparé de ma femme et de mon bébé pour être transféré à Tamanrasset. Heureusement, j’ai réussi à échapper à l’expulsion vers le Niger et à recueillir un peu d’argent pour retourner à ma famille.
Continue dans le chapitre trois...
“ ...Ils ont tout cassé, ont emmené ceux qu’ils trouvaient, ont commencé à les frapper.”
Au bout de trois ans en Algérie, j’ai eu la surprise d’être arrêté à l’endroit où je travaillais et où je vivais. Comme de nombreux autres travailleurs migrants d’Afrique subsaharienne, je vivais sur le chantier de construction et j’y dormais. Une nuit, nous avons entendu du bruit. Quelqu’un frappait lourdement à la porte. Après avoir défoncé la porte, les gendarmes se sont tout de suite dirigés vers la salle où vivaient les personnes noires. Ils ont tout cassé, ont emmené ceux qu’ils trouvaient, ont commencé à les frapper et à les forcer à monter dans des bus, en criant « Rapatriement ! Rapatriement ! » Nous avons tous été emmenés ensemble, sans distinction entre ceux qui avaient des papiers et ceux qui n’en avaient pas.
Nombre d’entre nous ont tenté de s’échapper pour éviter l’arrestation. Ils ont reçu encore plus de coups. Certains se sont cassé la jambe ou le pied en courant. J’ai demandé pourquoi nous étions traités ainsi. Je n’avais rien fait de mal, je travaillais simplement, comme tous les Noirs sur mon chantier. Pourquoi cette injustice ?
Depuis août 2017, la police et la gendarmerie algériennes (la gendarmerie dépend du ministère de la Défense) procèdent à des rafles de grande ampleur dans la rue, au domicile des migrants et sur leurs lieux de travail, notamment sur les chantiers, arrêtant des personnes originaires de plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne, essentiellement du Niger, mais également du Mali, de Côte d’Ivoire, de Guinée, de Guinée-Bissau, du Cameroun, du Nigeria, du Bénin, du Burkina Faso, de Gambie, du Liberia et du Sénégal. Selon plusieurs organisations de la société civile, ainsi que des avocats, les autorités ont procédé à des dizaines de milliers d’arrestations, lors de rafles réalisées dans les banlieues d’Alger et dans plusieurs villes, dont Blida, Bejaya, Tamanrasset, Tizi Ouzou, Sétif, Tipaza, Mostaganem, Adrar, Bechar, Bordj Badji Mokhtar et Oran. Dans certains cas, les forces de sécurité ont fait usage de matraques et ont frappé des migrants à coups de pied.
Selon les témoignages recueillis par Amnesty International auprès de migrants arrêtés dans le cadre de ces opérations, les forces de sécurité auraient eu recours au profilage ethnique, se fondant sur la couleur de la peau ou sur l’origine supposée des personnes, sans chercher à savoir, bien souvent, si les migrants qu’elles interpellaient possédaient ou non des papiers justifiant leur séjour en Algérie. Amnesty International a procédé à plus d’une cinquantaine d’entretiens avec des personnes originaires d’Afrique sub-saharienne qui avaient été arrêtées et expulsées. Leurs témoignages ont été recueillis lors d’une mission de recherche menée au Niger en décembre 2017 et par téléphone. Selon des dizaines de migrants qui se sont confiés aux chercheurs de l’organisation, les autorités algériennes n’ont procédé à aucun examen individuel des situations et n’ont pas informé les personnes arrêtées des raisons de leur placement en détention. Dans de nombreux cas, elles ont également refusé de leur accorder leur droit à bénéficier d’une assistance des autorités consulaires de leur pays.
Parmi les migrants arrêtés et expulsés, certains étaient sans papiers, mais d'autres avaient des visas ou des cartes de séjour en cours de validité.
En octobre 2017, les forces de sécurité ont également arrêté des réfugiés et des demandeurs d’asile enregistrés en Algérie et ont expulsé au moins un demandeur d'asile malien vers le Niger. Depuis janvier 2018, des dizaines de réfugiés et de demandeurs d’asile ont été expulsés vers le Niger et le Mali. Selon plusieurs organisations locales, le mois de novembre 2018 aurait été marqué par une augmentation du nombre des arrestations de demandeurs d'asile et de réfugiés.
À Oran, dans l’ouest du pays, les pouvoirs publics se sont livrés entre mars et novembre 2018 à des perquisitions systématiques de domicile, en plein milieu de la nuit, dans certains quartiers abritant de nombreux migrants, procédant à des arrestations d’étrangers, sans que ceux-ci puissent emporter leurs affaires avec eux. Dans certains cas, des personnes ont même été séparées de leur famille. Ainsi, lors d’une opération de ce genre, le 8 novembre, les autorités ont arrêté un ressortissant camerounais, qui a été séparé de sa femme et de son fils, âgé de trois mois, puis conduit à Tamanrasset. Cet homme a réussi à échapper à ses gardiens avant d’être expulsé. La famille avait déposé en juin une demande de « retour volontaire » dans le cadre du programme de l’OIM en Algérie, mais les autorités avaient refusé de vérifier les documents attestant de cette démarche lors de son arrestation.
“...nous sommes forcés de nous cacher chez nous avec notre nouveau-né.”
À un moment, nous avions envisagé de fuir vers le Maroc en passant par la ville frontalière de Maghnia, mais cette frontière est également très dangereuse, et nous ne voulions pas mettre nos vies en danger, surtout celle de notre bébé. Nous avons alors décidé de rester et nous avons demandé à l’OIM de nous renvoyer vers le Cameroun. Nous n’avions pas d’autres choix que de rentrer au pays, même si cela signifiait que nos projets de vie avaient échoué. Notre région est instable, et nous prenons le risque de nous exposer à d’autres problèmes en rentrant chez nous, mais nous préférons mourir au pays plutôt qu’ici, en Algérie. Au moins, nos familles pourront mettre une pierre sur nos tombes.
Notre bébé est né ici grâce à une organisation locale qui a facilité notre accès à l’hôpital. Cinq mois plus tard, nous avons postulé au « programme d’aide au retour volontaire » auprès de l’OIM. Nous attendons toujours ici, et nous sommes forcés de nous cacher chez nous avec notre nouveau-né.
Est-ce que c’est une vie ? Pourquoi les autorités se servent-elles de nous comme boucs émissaires pour justifier leurs mauvais choix économiques et la période difficile que traverse l’Algérie après la chute des cours du pétrole ? Avec ce discours, les autorités encouragent vraiment le racisme au sein de la société et, même ici à Oran, de nombreux Algériens ont commencé à faire preuve d’hostilité à notre égard, alors que nous avions toujours vécu ensemble jusque-là.
Sept mois après notre arrestation, les descentes de police continuent, et nous nous retrouvons piégés. Nous vivons dans la peur d’être pris pour cibles. L’un de nos amis proches et sa famille ont été victimes de l’une des dernières descentes de police. Il est parvenu à s’échapper, mais sa femme et leur bébé de six mois ont été arrêtés avant d’être expulsés vers le Niger. Comment peut-on laisser un bébé de six mois au milieu du désert ? C’est inhumain !
“ ... la police a commencé à nous donner des coups de matraque et de bâton.”
Je me suis installé à Blida, en Algérie, où j’ai travaillé sur un chantier pendant trois ans. Je gagnais 1 500 dinars par jour (environ 12 dollars américains). J’ai été arrêté sur ce même chantier, en compagnie d’autres travailleurs originaires du Niger, du Cameroun, de Guinée, du Mali, du Bénin. Il n’y avait que des Africains. Les policiers ont dit que c’était le Premier ministre algérien qui avait pour objectif de débarrasser le pays des Noirs.
J’ai été transféré au poste de police d’Ouled Yaïch, puis au camp de Zéralda, près d’Alger, où j’ai passé trois jours. J’ai tout laissé derrière moi, même mes vêtements, mes affaires et plus de 180 000 dinars algériens (environ 1 500 dollars américains) d’économies que j’avais péniblement réunis pendant le temps que j’ai passé en Algérie. Au camp de Zéralda, il y avait la police, la gendarmerie, ainsi que le Croissant-Rouge algérien. Dans le camp, ils ne nous autorisaient pas à aller aux toilettes pendant la nuit. Nous étions obligés d’uriner dans un bidon et de le garder à côté de nous. Au bout de trois jours dans cet endroit déplorable, ils nous ont transférés à Tamanrasset. À notre sortie du bus, la police a commencé à nous donner des coups de matraque et de bâton. Notre convoi comptait 15 ou 16 bus en tout, et nous avons tous été frappés sans raison. Il y a eu beaucoup de blessés.
Je m’apprêtais à rentrer dans mon pays avec mon Samsung G5, le seul objet qui me restait après mon arrestation, mais il m’a été confisqué à Tamanrasset. Pourquoi m’ont-ils fait cela ? Je n’ai tué personne, je n’ai rien fait de mal en Algérie pour mériter un tel traitement.
Trois heures après notre arrivée à Tamanrasset, nous étions déjà dans un bus en direction de la frontière nigérienne. Les forces de sécurité nous ont laissés là en disant : « Vous voyez ce point ? C’est le Niger. » Nous étions 500 ou 600. Les Nigériens, qui connaissaient mieux la route, marchaient devant. Nous avons avancé sous le soleil de neuf heures du matin à quatre heures le lendemain matin.
Après une période de courte durée, allant de 24 à 72 heures, les pouvoirs publics ont fait monter de force dans des autocars de très nombreux migrants et des dizaines de réfugiés, pour les conduire à plus de 2 000 kilomètres de là, à Tamanrasset, dans le sud de l’Algérie, sans leur fournir de nourriture ni d’eau en quantités suffisantes. Certains migrants ont été maintenus en détention prolongée (parfois plusieurs mois). Au moins 10 migrants interrogés par Amnesty International ont affirmé avoir été frappés pendant leur transfert.
À Tamanrasset, les migrants et les réfugiés ont été placés dans un centre de transit administré par la gendarmerie, qu’ils n’avaient pas le droit de quitter. Certains migrants dont Amnesty International a pu recueillir les témoignages ont dit avoir quitté Tamanrasset dans les heures qui ont suivi leur arrivée, tandis que d’autres y seraient restés plusieurs jours. Ils ont expliqué à Amnesty International que les autorités les avaient fait monter de force dans de gros camions à plateforme ouverte, pour les conduire ensuite vers le sud, près de la frontière.
D'autres personnes arrêtées lors de plusieurs opérations d’envergure menées dans différentes villes algériennes, dont Tlemcen, Maghnia, Oran et Ghardaïa, ont été rassemblées dans un centre de détention en plein air situé à Reggane, dans le sud de l’Algérie. Selon des informations communiquées par des migrants, après une courte détention, elles ont été conduites de force jusqu’à Bordj Badji Mokhtar, dernière localité algérienne avant la frontière malienne.
En complément des crédits des images déjà indiqués tout au long de la publication digitale, Amnesty International attribue aussi le crédit pour les images suivantes:
Crée par Holoscribe, avec l'assistance de Froont et la rédaction de Harpoon Productions.
Aidez-nous à protéger les droits des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés en Algérie : dites aux autorités algériennes de cesser les expulsions massives et arbitraires au Niger et au Mali, d’accorder une protection internationale aux réfugiés et d’adopter une loi sur l’asile !